Alexandre Desplat nous livre ses impressions de compositeur de musique de films sur le Festival :
Le français Alexandre Desplat, compositeur de musique de films, est
membre du Jury des longs métrages du 63e Festival de Cannes et répond
aujourd’hui à une interview « musicale ».
Vous êtes venu plusieurs fois au festival, quels souvenirs en
gardez-vous ?
Ce qui est étrange, c’est qu’il y a des montées des marches qui sont
toutes différentes. Elles sont parfois très joyeuses, parfois joyeuses
mais tendues, parfois sobres… C’est ça qui est peut-être le plus
intéressant. Evidemment, ça dépend du film que l’on présente. Par
exemple hier, avec Tamara Drewe, il y avait une joie de vivre et une
envie partagée qui était je crois vraiment visible. Sur d’autres films,
on sent les équipes très unies, si je pense à Quand j’étais chanteur, on
était très contents d’être là mais c’était beaucoup plus retenu. Pour
Un Prophète, c’était encore différent parce que le film avait quelque
chose de très sombre. Même si tout le monde était très content d’être
là, il y avait une espèce de concentration, de solennité.
Cette année, vous êtes membre du Jury des longs métrages, qu’avez-vous
ressenti quand on vous l’a proposé ?
J’étais très heureux, très honoré et surpris ! J’étais en train de faire
autre chose, et j’avais prévu d’autres événements pour cette période
là, mais je n’ai pas réfléchi très longtemps avant de dire oui ! J’ai vu
qui il y avait dans le jury et je n’ai pas hésité un instant. Et je
suis tellement heureux qu’un compositeur soit dans le Jury, c’est rare.
Si le Festival de Cannes était une musique, quelle serait-elle ?
Du Rossini, la Pie voleuse.
Une musique que vous inspire vos collègues jurés ?
Aquarium de Saint Saens. Le Carnaval des animaux.
Y-a-t-il une musique de film qui vous a donné envie de commencer
votre carrière de compositeur pour le cinéma ?
Certainement une des plus vieilles musiques pour moi : le thème d’amour
de Spartacus, le film de Kubrick, qui est quasiment en scène en même
temps que Jean Simmons. Dès qu’elle rentre dans le cadre, ce thème
apparaît, et quand elle sort du cadre, la musique demeure, comme si son
parfum, alors qu’elle s’est évanouie de l’écran, continuait à
s’exprimer. C’est assez troublant.
C’est une musique du compositeur Alex North, qui a aussi écrit la
musique des Misfits.
Si vous deviez exprimer votre émotion du moment par une musique ?
Pour moi la référence absolue en musique c’est Mozart, parce que sa
musique n’est jamais gaie, ni triste mais elle évoque les deux émotions.
On est plutôt dans un barnum festif ici, mais malgré tout, quand on
rentre à pied du Palais à deux heures du matin, le cirque a fermé le
chapiteau jusqu’au lendemain, et il y a à la fois une douceur de l’air,
et une densité des émotions qui s’apaisent et qui se resserrent. Donc
pour moi, ça serait peut-être un quatuor de Mozart, qui appelle toutes
ces émotions à la fois complexes et complémentaires.
En 2006, vous êtes venu donner une Leçon de musique au
Festival de Cannes avec Jacques Audiard. Vous avez collaboré avec lui
sur tous ses films. Comment se passe la relation entre le compositeur et
le réalisateur ?
L’histoire du cinéma et de la musique de film a créé des couples
mythiques - Rota/Fellini, Rota/Visconti, Morricone /Pasolini, Dany
Elfman/ Tim Burton, Bernard Herrmann avec Hitchcock, David Lean avec
Maurice Jarre, Duhamel avec Truffaut, Delerue avec Truffaut, les deux
avec Godard - où le compositeur, en s’appuyant sur l’esthétique d’un
autre artiste, arrive à construire sa propre identité et à la maintenir
de film en film. C’est cette chose là qui est assez mystérieuse et
magique et que tout compositeur de musique de films tend à rencontrer.
Je l’ai rencontrée avec Jacques Audiard, Marion Vernoux, Xavier
Giannoli, Florent Siri, Stephen Frears… J’ai la chance d’avoir des
metteurs en scène qui sont très fidèles. C’est une chance parce qu’on
établit un rapport de confiance dans une ligne d’exigence qui peut aussi
s’approfondir. Avec Frears, ce n’est jamais gagné, il faut toujours
être dans la remise en question, pareil avec Jacques. Donc on est en
confiance mais en même temps on se met en danger, pour ne pas tomber du
mauvais côté de la falaise.
La musique peut être comme un personnage dans un film ?
Absolument. Dans Ghost writer, de Polanski, la musique a un rôle
crucial. C’est aussi la force des réalisateurs qui aiment la musique au
cinéma. Polanski en est un exemple, il est mélomane et il aime aussi que
la musique vienne donner des fausses pistes, donner de l’énergie, créer
un monde invisible, le faire apparaître.
J’ai toujours voulu écrire pour le cinéma et jamais pour autre chose. Ma
récompense c’est de faire ce que j’ai toujours rêvé de faire. J’ai
toujours voulu composer pour des films, et jamais pour des concerts ou
des opéras. Je suis là où je voulais être avec la même passion pour le
cinéma que pour la musique. Le cinéma me fascine, cela m’a toujours
ému, renversé. C’est une vraie passion.
Propos recueillis par E.B.