Coup de gueule de Jack Lang, créateur de la fête du patrimoine à la veille de son 38ème anniversaire
Pour un grand ministère de la beauté
Vive le patrimoine ! A bas la laideur !
Les journées du patrimoine que j’ai créées en 1984 sont devenues un grand mouvement populaire en faveur de la sauvegarde de nos monuments historiques : 10 millions de visiteurs dans 15 000 monuments.
Mais dans le même temps nos 35 000 communes sont trop souvent enlaidies par un urbanisme sauvage, sans âme, purement commercial. Nous ne pouvons accepter la fatalité qui tend à placer nos monuments sous de belles vitrines protectrices au milieu d'une France défigurée.
J’en appelle à un grand sursaut national.
L'État doit donner l'exemple : la protection des monuments c'est bien, mais celle de leurs abords proches ou lointains laisse à désirer. Création architecturale, écoles d'architecture, urbanisme doivent recevoir une impulsion centrale.
Que l’Etat redevienne l’Etat et conduise une puissante politique de la beauté. Aujourd’hui les services compétents sont fragmentés et dispersés entre de multiples ministères. Je plaide pour qu’un grand ministère de la beauté, de l’architecture, de l’habitat et de l’urbanisme voie le jour et soit rattaché à la rue de Valois.
Les collectivités territoriales doivent elles aussi lutter contre le mitage des abords des villes, contre l'abandon des plans d'urbanisme, contre la perte du sens de l'intérêt général par l’oubli de valeurs comme l’harmonie, la douceur de nos paysages urbains et naturels qui doivent être des carrefours de mille beautés. N’attendons pas demain pour démolir les horreurs d’hier.
Enfin l'État, à travers son service public de l'éducation nationale, doit apprendre aux 12 millions d'élèves à lever les yeux vers la beauté de leur environnement, à distinguer le beau du laid. Je souhaite que nos enseignants puissent consacrer une part de leurs efforts à cette ambition apparemment modeste et pourtant capitale : une véritable éducation du regard, de la vision comme cela existe dans les pays nordiques.
Faute de quoi nos enfants et petits-enfants nous maudiront avec raison de nous être contentés de placer les monuments du passé dans de beaux écrins sans nous soucier de la laideur environnante dans laquelle nous les aurons condamnés à vivre.
Les amoureux du patrimoine découvrent par millions la beauté de l'architecture des siècles des cathédrales, des lumières ou de notre Art nouveau. Nos enfants et petits-enfants devront-ils démolir les millions de petites laideurs urbaines que nous avons laissé construire depuis que l’Etat a abdiqué sa responsabilité première ?
J’invite les millions d’ennemis de la mocheté à engager un combat vigoureux contre la laideur. Vite et Fort.
Inversons la hiérarchie des valeurs : la beauté d’abord, le profit au rencard.
16.09.2022 | Editor's blog
Cat. : PEOPLE