INTERVIEW de Sanja Ravlic - President DU Gender Equality Group - Eurimages

Sanja Ravlic President of the Gender Equality Group for Eurimages

Quelle est votre vision de la place des femmes dans le cinéma au niveau européen ?

Je crois à l'importance des données et des chiffres. Il est très important de dépasser ce que j’appelle la phase "impressionniste". Pour cela il est très important d'agréger les statistiques au niveau européen. Nous disposons déjà d'études réalisées au niveau national par quelques pays européens dont la France, et des premiers résultats d’une étude européenne faite par l’Observatoire européen de l'audiovisuel. Cette dernière porte sur les réalisatrices dans le cinéma européen et couvre une période de dix ans entre 2003 et 2012. Les deux études viennent d’être présentées à Cannes au cours de la conférence « Girls Just Wanna Have Film! Quelle place pour les femmes dans l’industrie cinématographique actuelle? »organisée par l'Observatoire européen de l'audiovisuel. Les chiffres sont inquiétants car seuls 16,09 % des films réalisés en Europe pendant cette période ont été réalisés par des femmes. Les femmes représentant la moitié de l’humanité et le cinémaétant un art populaire qui joue un rôle immense dans la formation de notre imaginaire, je pense que personne ne peut être satisfait par ces statistiques. Ce qui est positif c'est qu’on a enfin commencé à en parler partout à voix haute et qu'on est plus informés.  

Y a-t-il des pays qui vous semblent précurseurs sur la question ?
On pense immédiatement aux pays nordiques, notamment à la Suède qui a réussi, au moins au niveau du financement public, et cela grâce à son système de financement public du cinéma (je parle ici des accords cinéma entre le gouvernement, le fonds public Swedish Film Institute et toutes les parties prenantes du secteur qui se renouvellent tous les 4 ans), à introduire une obligation de financement paritaire au niveau national. Il faut souligner aussi que le caractère féminin/masculin d'un projetest déterminé à trois niveaux: écriture, réalisation, production. Mais il ne faut pas oublier qu’il ne s'agit que du financement public et que la situation, même en Suède, n’est pas si rose si on regarde de plus près les statistiques pour les films financés sans soutien public. Ce qui est important c'est qu’il existe une politique consciente et consistante au niveau du financement public. 

Quelles mesures immédiates devraient être prises pour faire évoluer la situation ?

Pour moi, il est évident que la situation ne va pas évoluer “naturellement” et que la parité atteinte au sein des écoles decinéma ne se transpose pas automatiquement au niveau de l'industrie. Il faut souligner que le chiffre de 16,09 % relevé par l’étude de l'Observatoire n’est pas la seule mauvaise nouvelle : je trouve plus inquiétant encore qu’il n’y ait pas eu une hausse significative du pourcentage de films réalisés par des femmes au cours des dix années que couvre l’étude.
C’est pour cette raison-là que je suis en faveur d’une « affirmative action ». Il faut faire quelque chose et vite. Pour moi il est évident que les fonds publics doivent être les premiers à prendre des mesures dans ce sens car ils disposent de l’argent descontribuables. Est-ce qu’on parlera de quotas ? De cibles ? De fonds dédiés ? Ca n'est qu'une question de sémantique. 

 
Que pensez-vous de la Charte Deuxième Regard ?

C’est une initiative très importante qui nous rappelle encore une fois que l’égalité des femmes et des hommes est un droit fondamental et que le cinéma est un art populaire ayant une force de frappe importante sur l’imaginaire collectif. Il est doncessentiel que les femmes y participent d’une manière vraiment démocratique. Les enjeux et la portée de la Charte sont clairs car elle définit cinq grands chantiers pour la parité dans le secteur: l'agrégation de statistiques qui nous permettront de mieux cerner les problématiques existantes et d'élaborer une réflexion commune; la parité chez les décideurs, qui est très importante; le soutien de projets ne relayant pas des clichés sexistes; la sensibilisation pour lutter contre les stéréotypes au sein des sociétés du secteur; et last but not the least, l'égalité salariale.