L'an dernier, votre première sélection reposait sur un certain éclectisme, du documentaire au film de genre. Est-ce que vous avez continué dans le même esprit ?
Je voulais imprimer de l'éclectisme, évidemment, mais aussi de la diversité géographique. J'ai vu beaucoup de films européens. On nous a proposé énormément de films français, dont je me devais de répercuter la quantité et la qualité. Il y a des films annoncés qui déçoivent, d'autres qui viennent de nulle part et que l'on sélectionne immédiatement après les avoir vus. Il y a aussi des films qui nous ont fait hésiter ; dans ces cas là, on les laisse de côté, on les laisse en gestation, et puis on les reprend, on replonge dans un univers, on essaye de comprendre ce qui nous dérange. Plus on construit la sélection et plus on met en perspective les autres films. On essaye de comprendre comment les faire marcher ensemble. On désire 300 films, et on en garde 25. On sait qu'on va décevoir, et peut-être que nous serons déçus nous-mêmes.
Je ne marche pas uniquement au coup de cœur, mais je tiens compte de mon plaisir personnel de cinéma, de l'émotion que le cinéma me procure. On peut se retrouver spectateur dans un film avec tout ce que cela a de contradictoire ; le cinéma ne doit pas être uniquement facile, il doit aussi être une réflexion sur soi-même.
Dans la sélection on retrouve huit premiers films, des revenants comme Gus Van den Berghe et Kamen Kalev, mais aussi des auteurs chevronnés comme André Téchiné.
Je ne suis pas forcément pour la fidélité. Parfois les cinéastes vont à la Quinzaine, ils refont des films, et puis ils reviennent. Parfois, non. Il y a toujours des nouveaux qui arrivent. C'est bien de leur donner une chance, une exposition, une parole. Non seulement pour le cinéma, mais aussi vis à vis des journalistes et du public qui vient à Cannes ou à la reprise au Forum des Images. Le public de la Quinzaine est leur premier public ; il est fait de journalistes, de professionnels, mais aussi de personnes qui payent leur place – étudiants, gens de la région, cinéphiles de toute la France – qui ont confiance dans la programmation de la Quinzaine. D'où l'intérêt de livrer de l'envie, des bons synopsis, de rendre la sélection assez vibrante, assez excitante.
Quelle(s) cinématographie(s) avez-vous vu émerger cette année ?
J'ai été très marqué par la France cette année, avec des propositions de cinéma extraordinaires. Au-delà de la France, il y a aussi beaucoup de coproductions européennes, plutôt du nord. On a un très grand film suédois, Play. Il y a pas moins de trois films belges, avec notamment La Fée de Dominique Abel, Bruno Rémy et Fiona Gordon. Il fera l'ouverture de la Quinzaine. C'est un film fou, burlesque, très visuel.
J'adore ces films portés visuellement, mais je suis aussi apte à proposer un cinéma porté par des comédiens. Je pense à Return, le premier film de l'Américaine Liza Johnson, qui ressemble au cinéma de Bogdanovitch ou Altman, avec des choses très simples, très humaines.Il y a aussi beaucoup de films réalisés par des femmes cette année, c'est un hasard. J'ai voulu montrer une diversité qui va jusqu'au film de genre, avec un film totalement atypique du grand réalisateur japonais Sion Sono, une sorte de thriller sexuel présenté dans une version director's cut de 2h20. J'aime ces films qui tirent vers les limites du bon goût.
Comme l'an dernier, l'Asie est un peu en retrait, avec seulement trois films.
On a un très grand film indien, Chatrak, de Vimukhti Jayasundara, qui a déjà remporté la Caméra d'or dans le passé. On n'a pas réussi à trouver un film à Hong Kong. Il y avait peu de choses en Chine et en Corée : beaucoup de films commerciaux, et d'autres qui ne sont pas encore finis. Parfois, il y a des projets passionnants, mais nettement trop longs.
On a aussi vu des films pakistanais, ouzbeks ou irakiens extrêmement intéressants. Ca bouge du côté de l'Orient.
Il y a une vraie diversité de talents en Asie. Notamment aux Philippines, où nous avons trouvé un film à la limite du documentaire et de la fiction tourné dans le sud du pays. C'est un film animiste, très proche de la nature, tourné en toute pureté, sans tentative apparente de faire un film pour aller à Cannes, débarrassé de tout enjeu de coproduction.
Est-ce qu'il y aura un nouveau choc formel, comme la Casa muda l'an dernier (le film était tourné en un seul plan séquence) ?
Play, de Ruben Ostlund, est un grand film de forme. Ca ressemble à du Roy Andersson optimiste, ou réaliste, ou même social. Il travaille la mise en scène sur les personnages, qui sont très près. Il y a quelque chose d'étonnant et d'hypnotique dans le film. Je suis très fier de pouvoir le présenter.
Interviews : Gilles Rousseau pour le Forum des images ; Mathieu Debusschère et Jean-Baptiste Daoulas pour la Quinzaine des Réalisateurs.
19.04.2011 | Editor's blog
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