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Martin Scorsese Masterclass in Cannes

 

 

 

Ray de Taylor Hackford (USA, 2004)

 

Locandina Ray

Je ne vais pas présenter l’ensemble du film sur le célèbre jazzman Ray Charles, film qui a valu à l’acteur principal, Jamie Foxx, un oscar. Il faut dire que son interprétation était très convaincante. Mais une séquence m’a particulièrement touché (à 1h 06’), comme il arrive parfois lorsqu’on regarde un film, et je dois préciser qu’il s’agit d’une interprétation très personnelle qui n’est pas appelée à faire l’unanimité.

Dans le film donc, la mère de Ray, Aretha Robinson (Sharon Warren), dont l’interprétation est elle aussi impeccable, veut apprendre à son jeune fils, devenu aveugle à se débrouiller tout seul dans son environnement. Un jour, à la maison, Ray se cogne à une chaise (on se situe en plein flashback) et tombe par terre en se faisant mal. Mais sa mère, qui est là, à quelques mètres, ne réagit pas et reste silencieuse, invisible pour son fils. Anxieuse, elle regarde comment son fils va se débrouiller pour se remettre debout et s’orienter dans la maison, pensant au jour où il sera seul. Avec courage le jeune garçon se relève et prend petit à petit conscience de l’environnement sonore autour de lui. Il s’approche du feu dans l’âtre de la maison mais sans se brûler (sa mère est prête à intervenir). Il parvient même à se saisir d’un grillon qui marche sur le plancher pour, ensuite, écouter son chant, les mains collées à ses oreilles. À un moment, après avoir retrouvé tout son calme, il arrive devant sa mère et lui dit : « Et je t’entends aussi maman, je sais que tu es juste là ». Sa mère le prend dans ses bras, en larmes et lui dit : « Oui, oui, je suis là » (voir l'extrait ci-joint).

Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir une parabole de la condition humaine : aveugles, nous ne voyons pas le monde invisible qui nous entoure, nous n’en voyons que la surface. Nous ne voyons pas Dieu. Nous ne pouvons avancer dans la vie qu’à tâtons, sans savoir où nous allons, contraints de chercher le sens de nos actes. Dieu pourtant est là qui nous regarde et qui espère, avec anxiété, que nous pourrons trouver le chemin qui nous mène à Lui. Loin d’être indifférent, il guette le moindre de nos gestes, prêt à intervenir, si nécessaire, mais sans répondre toujours à nos cris, s’il juge que nous pouvons (et devons) apprendre à marcher seuls. Tout à la fin, c’est lui pourtant qui nous accueillera, comme une mère aimante, tandis que, tout fils et filles que nous sommes, nous aurons appris à écouter, à adapter à notre situation aux contraintes de ce monde, en ayant parcouru, sans en avoir toujours conscience, le chemin qui nous séparait de Lui.

Dans le film Ray, l’extrême acuité acoustique que développe le personnage à cause de sa cécité lui fait percevoir ce auquel beaucoup n’accordent que peu ou pas d’attention, comme par exemple, ici, le vol d’un colibri, par la fenêtre d’un restaurant. Le monde est pour lui, grâce à l’écoute, aussi « visible » que pour un voyant.

La spiritualité juive et chrétienne a accordé une grande importance au sens de l’écoute. À défaut de voir Dieu et puisque « nul ne peut voir Dieu sans mourir » (cf. Ex 33,20), il s’agit d’écouter sa Parole, spécialement au travers de celle des prophètes. Non pas comme si sa voix s’adressait directement aux oreilles humaines ; il ne s’agit pas de confondre Dieu avec ceux qui parlent en son Nom ou de considérer que la Bible a été dictée par Dieu : certains ont seulement été inspirés par l’Esprit Saint. À cela, il faut bien entendu ajouter l’interdiction, dans l’Ancien Testament, de représenter Dieu par des images (on le confondrait alors avec les idoles du monde Antique environnant). Au temps de l’Exil à Babylone, l’importance du Shemaʿ Yisrā'ēl (écoute, Israël) prend une importance considérable. Impossible de « contempler » Dieu dans son Temple (qui fut préalablement détruit), ni d’en voir la bénédiction sur le Roi, messie et pasteur de son peuple, ou sur les prêtres. Il faut donc, une fois encore chercher et découvrir sa présence dans sa Parole.

Sans être un film particulièrement spirituel, le film Ray propose donc une séquence inspirante, parmi d’autres sans doute, et qui jouent un rôle plus important dans l’histoire. Elle montre en tous cas l’importance des « brèches » ou « fentes » par lesquelles « quelque chose » peut advenir du monde invisible, volontairement ou non, ou selon le seul regard du spectateur. Ce genre de séquences peut tracer un chemin vers l’imagination et soulever une foule de représentations, de pensées, d’images grâce à la forme qui lui est donnée. Comme le dit Henri Focillon : « [La forme] est stricte définition de l’espace, mais elle est suggestion d’autres formes. Elle se continue, elle se propage dans l’imaginaire, ou plutôt nous la considérons comme une sorte de fissure, par laquelle nous pouvons faire entrer dans un règne incertain, qui n’est ni l’étendu ni le pensé, une foule d’images qui aspirent à naître » (La Vie des formes, Paris, PUF, 1970, p. 4). Abbé Jean-Luc Maroy.

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RAY, extrait.avi42.29 Mo

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