Les deux dirigeants du festival, Gilles Jacob et Thierry Frémaux parlent à Ron Holloway du festival, des films en compétition et de leurs espoirs pour l’avenir du cinéma mondial.

« C’est le festival de Thierry Frémaux, » dit Gilles Jacob, plus détendu que jamais en plein milieu d’un nouveau festival de Cannes. C’est son 23ème festival – le premier en tant que Président, « on m’a dit que j’aurais du mal à changer de poste après avoir été délégué général, mais comme vous pouvez le constater, il s’agit d’une transition sans problème.

Frémaux est d’accord. « J’ai bénéficié de deux décennies de l’expérience de Gilles ainsi que de ses contacts personnels. Je suis constamment en train de lui demander son avis—et pas seulement pour les nouvelles productions. C’est un puits d’informations et il connaît les capacités de certains réalisateurs à modeler le cinéma du futur.

Répondant à la question de savoir si il ressentait le besoin de changer la façon dont son prédécesseur dirigeait le festival, Frémaux parle de changements mineurs. » Comme vous pouvez le constater tout est en place : La Riviera pour le Marché du Film, les sites web pour les journalistes, les faisceaux de sous titres digitalisés en Anglais ou en Français dans les endroits clés, pour ne parler que de quelques enrichissements dans les dernières années. Il y a quand même une chose que j’ai ajoutée : une projection en extérieur de Apocalypse Now Redux sur le port. Quelque chose de spécial pour le grand public et ils ont adoré. On recommencera l’année prochaine.


Cette projection extérieure ne fut possible qu’après que le plateau de Moulin Rouge ait été démonté après la soirée d’ouverture, mais cela a été un tel succès que l’on va refaire de tels spectacles au bord de l’eau pour le public qui n’a pas la chance d’obtenir des places.

Une autre amélioration que Frémaux et Jacob vont présenter l’année prochaine est la projection numérique. « On nous l’a déjà proposé mais la technique évolue si rapidement que nous ne savons pas quel système résistera le mieux au temps. » Il pense que la projection numérique est particulièrement adaptée aux rétrospectives.

Une autre innovation est le lien entre la Cinéfondation à Cannes et la Résidence Cinéfondation à Paris, qui est gérée par Laurent Jacob, le fils aîné de Gilles. « Nous pouvons inviter six cinéastes à la résidence pour environ quatre mois, » dit Jacob, « ils ont le temps de déveloper un projet et de recevoir l’avis de professionnels du cinéma de passage » Il cite le film de Jessica Haussner Lovely Rita, programmé cette année à la section Un Certain Regard, comme exemple de la progression d’un film étudiant qui parvient dans une des sections principales du festival.

A la question concernant la sélection du programme Officiel, Frémaux pense que c’est le mélange qui est important – les réalisateurs établis aux côtés des nouveaux venus, le documentaire aussi bien que la fiction, une représentation aussi complète que possible de la production de films d’aujourd’hui. »


Mais il admet qu’il y a quand même des exceptions . « Quand on visionne environ 2000 films, il faut établir des priorités. Un Olmi ou un Oliveira ne peut pas être facilement négligé—ni d’ailleurs un Jean luc Godard ou un David Lynch. Certains réalisateurs doivent leur succès international à Cannes—comme Abbas Kiarostami et les frères Coen -­alors on se sent obligé de garder un oeil sur eux d’année en année. »


Le journaliste de cinéma que je suis a fait leur éloge à la fin des années 80 pour la décision de Cannes de briser le boycott sur les films Iraniens, Jacob souligne encore une fois l’importance du sentiment que « de boycotter l’art du cinéma est dangereux ».


« Kiarostami est aujourd’hui le Rossellini du Cinéma Mondial »--en faisant référence à la mission humanitaire en Ouganda du metteur en scène Iranien pour ABC Africa
Jacob et Frémaux ont accueilli à bras ouverts l’esprit de coopération avec les autres sections du festival. Cette année, la Semaine de la Critique célèbre son 40ème anniversaire au festival, et le bruit court que Thierry Frémaux et José Maria Riba vont célébrer l’occasion à Paris plus tard dans l’année en témoignage mutuel de respect et d’approbation. Ils sont amis proches mais sont trop occupés pour le faire ici. « On travaillait ensemble sur la programmation rétrospective du festival de San Sébastien, » confirme Riba dans une autre conversation. D’ailleurs, Frémaux a aussi de proches contacts avec Richard Pena du Centre Lincoln et du Festival du film de New York. Pena donne des conférences à L’Institut Lumière à Lyon, où travaille aussi Frémaux.

Le même respect mutuel s’est étendu à Marie-Pierre Macia et son équipe à la Quinzaine des Réalisateurs. Depuis des années, il y avait quelque animosité entre Gilles Jacob et Pierre-Henri Deleau, le fondateur et précédent patron de la quinzaine depuis 30 ans. »Disons juste que nous savons tous comment nous aider le mieux. Par exemple, après avoir crée la Caméra d’Or, la Leçon de cinéma, la Cinéfondation, le Préludes aux années anniversaires (du cinéma et du festival de Cannes), les livres sur le cinéma, et les divers hommages, toutes les sections ont profité de ces innovations. Et c’est comme cela que cela devrait être, maintenant et dans le futur. »

Jacob et Frémaux ont terminé l’interview par quelques commentaires sur le monde du cinéma. Ils trouvent que le cinéma noir africain est quasiment inexistant, alors que les productions nord africaines –Egypte et Tunisie en particulier- augmentent rapidement. Le cinéma Latino Américain revient en pleine forme, grâce surtout à de jeunes réalisateurs au Brésil et en Argentine. Au contraire, la production d’Europe Centrale est décevante : « nous avons trouvé peu de choses intéressantes en Allemagne, Hongrie, Pologne et République Tchèque, bien que nous ayons presque sélectionné un film Tchèque cette année. »

Interrogés à propos du cinéma français contemporain, ils sont tous les deux d’accord pour dire que l’année dernière était bien meilleure ». Néanmoins, l’engagement envers le film d‘art et d’essai et le cinéma commercial français est plus équilibré ». Il y a l’hommage à Gérard Oury, par exemple, remarque Jacob ». « Et un créneau en compétition pour Rivette », ajoute Frémaux, appuyé par Trouble Every Day de Claire Denis, hors compétition. Interrogé cependant sur la raison pour laquelle un film purement commercial comme Roberto Succo de Cédric Kahn pouvait être en compétition, Frémeaux défend la décision en disant que la production en Cinémascope est sur le point d’être libérée. » Il est sûr de drainer un large public sur le seul thème, en plus c’est un film magnifique. Alors pourquoi pas ? »

Propos recueillis par Ron Holloway